Cinq hectares en mouvement pour apprendre à travailler
Le lycée Jules-Rieffel, à Saint-Herblain (44), fait évoluer depuis 2004 un jardin en mouvement. Mis en place avec le paysagiste Gilles Clément, ce projet a déjà mobilisé, au coeur d'un espace de près de 5 hectares, plusieurs promotions d'élèves inscrits en BTSA « aménagements paysagers ».
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« C'est le plus grand jardin en mouvement de France », affirment les responsables du lycée Jules-Rieffel et les étudiants. Le paysagiste Gilles Clément, inspirateur de ce concept en France, a travaillé avec les jeunes au début du projet et vient encore environ deux fois par an pour suivre et soutenir son développement, écouter et suggérer. Les apprentis jardiniers sont plutôt autonomes mais, parmi ses messages, ils ont retenu qu'« il faut appréhender l'existant avant d'agir ; observer le contexte environnant, envisager et soupeser les décisions ; faire avec la nature et ne pas aller contre... » À la fin de chaque année scolaire (fin mai), la classe de BTSA deuxième année « aménagements paysagers » lègue l'entretien et le développement du jardin aux élèves de première année. De promotion en promotion, ils se transmettent le plan de gestion. Leur participation représente 80 heures par an. Elle s'inscrit dans le cadre d'un module d'initiative locale (MIL), une démarche d'en d'enseignement spécifique au sein des programmes dans les lycées agricoles. Mais le plus souvent, les étudiants, très motivés, prennent sur leur temps personnel pour gérer et entretenir le site ou pour guider des visites.
Un terrain d'expérimentation in situ
Au départ, le terrain était en friche. Plusieurs zones ont été différenciées en fonction de la flore présente et de la topographie : le chaos, les prairies bocagères constituées du pré de lumière et de la prairie aux orchidées, le vallon des prêles, la forêt miniature, autant d'espaces séparés par des haies ou des corridors aquatiques... Au fil des aménagements, les étudiants ont tenté de respecter ces identités. Une parcelle, laissée en évolution naturelle, leur permet d'observer les étapes et les strates des conquêtes végétales successives : prairie, apparition de ronces, installation d'arbustes puis d'arbres et forêt à proprement parler. Le mouvement de la nature et des espèces s'opère peu à peu sous leurs yeux. L'ensemble du jardin sert de terrain d'expérimentation et d'apprentissage in situ. Dans la zone du chaos, après une période où la végétation avait beaucoup recouvert le sol, les jeunes apprennent à mettre en valeur les ronciers, à tailler les ajoncs en bonsaïs nuages (taille « niwaki »)... Aux prairies bocagères, ils préservent les orchidées sauvages en organisant des couloirs de circulation pour pouvoir déambuler librement et les admirer sans les écraser. Dans la partie la plus basse et la plus humide du vallon des prêles, ils organisent des noues pour récupérer l'eau et une nouvelle mare a été créée en mars 2013 ; elle sert de bassin de rétention. Au coeur de la forêt miniature, ils gèrent une futaie et un labyrinthe végétal constitué de chênes. Et au sein d'une clairière agrandie cette année, ils mettent en valeur des fougères.
« Nous avons créé des fenêtres pour organiser des liens de parcelle à parcelle. Il a fallu "ouvrir les milieux" et faire pas mal d'abattages... Ce site est une occasion de travailler sur les aspects paysagers d'un parc naturel, sur l'environnement social et économique d'un milieu», témoignent Marie Guilloteau et Alice Poyet, toutes les deux élèves au lycée. Mais les adaptations apportées par chaque promotion sont parfois réalisées au grand dam des anciens. « Nous sommes conscients des chocs culturels que peuvent représenter les moindres changements ou interventions que nous décidons. Et quand nous reviendrons visiter le site dans quelques années, nous serons peut-être en désaccord avec les choix des promotions ultérieures. » Pour l'heure, les élèves prévoient encore de construire des observatoires pour ne pas déranger les lapins, les oiseaux et autres animaux.
Pour Thierry Cussonneau, professeur de communication dans le cadre d'un PIC (projet d'initiative et de communication), et Denis Baron, professeur de géographie, ce site est un support pédagogique. Il est également un appui pour d'autres classes. Des BTS « gestion et protection de la nature » et « gestion forestière » sont déjà intervenus au début et en cours de projet pour des relevés faunistiques et floristiques. De leur côté, des classes de bac « sciences et technologies de l'agronomie et du vivant » ont étudié l'eau et sa purification par les végétaux... Le centre de formation d'apprentis (CFA) et le centre de formation et de promotion professionnel agricole (CFPPA), également basés sur le site de Saint-Herblain, peuvent intervenir avec des adultes dans le cadre de chantiers d'insertion, et/ou prêter du matériel spécifique aux interventions forestières.
Cadre d'initiatives culturelles
Les étudiants ont pris ce projet à coeur. Encadrés par la direction et les enseignants (Bruno Corneille, Sophie Massart et François Liorzou, professeurs de techniques en aménagements paysagers, et Michaël Chauvet, professeur de biologie-écologie), ils bénéficient d'autonomie dans leurs décisions. Et le jeu en vaut la chandelle. De nombreuses villes demandent à visiter ce jardin dans l'air du temps. Tous les ans durant le week-end national des Rendez-vous aux jardins, les élèves se mobilisent aussi pour guider le public. C'est l'occasion de recevoir divers artistes, une compagnie de théâtre, de réaliser des créations sonores et musicales sur le thème du jardin invisible, de proposer des déambulations poétiques... Ils participent également chaque année aux Journées du patrimoine (programmées cette année les 14 et 15 septembre). Et le jardin reste un lieu d'accueil d'initiatives culturelles, d'actions d'éducation socioculturelle...
Pour consacrer le tout, l'Association des journalistes du jardin et de l'horticulture (AJJH) a remis aux jeunes, le 28 juin dernier, le « Prix de l'initiative pédagogique » en récompense de leurs actions et de leurs engagements.
Le lycée aimerait par ailleurs obtenir le label Ecojardin ® : « Pour l'instant, nous avons seulement testé le référentiel, explique Bruno Corneille. Nous allons maintenant procéder à la demande d'obtention du label. Il faut que l'ensemble des documents demandés soient rédigés, ce qui n'est pas une mince affaire ! »
« Ce travail d'entretien et de suivi d'un parc en pleine nature nous sensibilise au développement durable. Il nous aide à changer notre vision sur la gestion des espaces et des écosystèmes. Pour certains étudiants, c'est une vraie découverte. Pour d'autres, c'est l'occasion de conforter un intérêt pour ces problématiques environnementales. Pour tous, il s'agit d'une bonne expérience pour trouver un travail », concluent Marie Guilloteau et Alice Poyet.
Odile Maillard
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